Comètes en décadence

▲ La jument palomino avait été surprise par l'averse. Et pour une averse, s'en était une. Des trombes d'eau se déversaient sur sa robe de miel, la trempant, ne laissant aucun millimètre de sa robe au sec. A tâtons, elle avait trouvé un toit de feuilles géantes et s'y était abritée.

CAPRICORNE.
Mais je suis déjà abrité depuis un moment, et soudainement, alors que je somnole presque un peu à la douce mélodie de l'averse, une jument se fraye un passage jusqu'à mon abri et me fait brusquement sursauté. Je la dévisage, un peu surpris, les sens en alerte.

▲ Des sabots qui frôlent le sol ; Mara les entend. Ses naseaux touchent sans prévenir une fourrure équine. Surprise, elle relève brusquement la tête et se la cogne contre une branche basse. Outch! Pardon... La blonde, son toupet devant les yeux, ne montre rien de sa cécité, ce qui ne lui redonne pas la vue.

Elle me rentre dedans, et je pousse un léger hennissement. Pas de peur mais.. ouais bon ok, un peu. On m'a tellement battu que même venant d'une jument, ça ne m'étonnerait pas. Elle n'est pas beaucoup plus grande que moi – un peu quand même, je dois bien l'avouer. « Pas de soucis. » murmuré-je en retour, en secouant mon toupet, me tapis dans le fond de notre abri de fortune sans dire rien d'autre, observant néanmoins avec une douceur dans le regard l'inconnue.

▲ Mara met un peu de temps à retrouver clairement ses esprits. Privée de vision pour s'orienter, c'est d'autant plus difficile. Le silence du petit étalon pourrait lui faire croire qu'elle a rêvé, mais elle a suffisamment d'esprit et d'odorat pour savoir que ce n'est pas le cas. Est-ce que ça vous dérange si je m'abrite ici? Même s'il lui disait non, elle ne partirait pas. Mais politesse oblige.

Je secoue d'abord simplement la tête. Mais il fait sombre, il pleut, elle ne me voit peut-être pas. « Euh non, pas du tout. » Après tout, qui suis-je pour priver quelqu'un d'un droit d'asile, hein ? « Qui êtes-vous ? » demandé-je d'une voix douce, posée, méfiante pourtant.

▲ Mara dégagea son toupet de ses yeux aveugles. Je m'appelle Mara. Et vous? Répondit-elle, amicale, sans se soucier de la légère méfiance de l'inconnu.

Le regard opaque de la palomino se braque aveuglément sur moi et je tressaille.
Je n'ai jamais rencontré personne d'aveugle, mais je sais qu'elle l'est. Ses iris sont flous, brouillés de nuages clairs. Elle ne me voit donc pas. Et si elle ne me voit pas... jugera-t-elle le fait que je sois si petit ? Une sorte de cadenas se déverrouille en moi, et je me détends un peu. Je note son nom dans ma tête ; elle est la première personne que je croise ici. « Je m'appelle Capricorne. »

▲ Les paupières de Mara battent sur ses prunelles vitreuses. Enchantée. Impressionnant cette pluie, non? Un véritable torrent. Il n'était pas le premier qu'elle rencontrait, il était tout du moins le dernier en date.

J'ai envie de lui répondre que non. Que la pluie, j'ai connu et connais encore souvent. Sans répondre d'abord, je fixe mon regard au loin, dans cette jungle battue par les trombes d'eau qui s'y abattent. « On est bien abrités. »

▲ Mara, elle a longtemps vécu au Nord. Elle connait bien la neige. Et elle est née à l'empire, on ne peux pas dire que la pluie soit une coutume là-bas, sauf exception. C'est certain. Souffle-t-elle, s'ébrouant pour chasser l'eau de sa robe dégoulinante. Oh, pardon. Elle devait l'avoir un peu plus mouillé, pour le coup.

Je ne réagis pas vraiment aux gouttes d'eau, plutôt à son mouvement. Elle ne le voit peut-être pas, mais mes oreilles se sont couchées brièvement. Loin d'avoir paru agressif, je pense que j'avais l'air légèrement apeuré. « Ce n'est rien... » murmuré-je doucement, en baissant la tête. Le vent me fait rentrer l'encolure un peu dans les épaules. « Vous êtes la première personne que je rencontre ici. »

▲ Mara ne voyait pas, c'était un fait. En revanche, son odorat développé percevait mieux les changements hormonaux forts, tels que ceux que provoquent la peur, par exemple. Je vous fait peur? Demande-t-elle, directe, d'une voix pourtant douce. Quel honneur vous me faites. Elle sourit, amusée.

Je ne réponds rien pendant un moment, comme pris au piège. Comment sait-elle ? Je baisse la tête, cherche une réponse sans la trouver. Je soupire. « Vous, non. Mais j'ai.. acquis certains réflexes instinctifs. » À force d'être battu. D'être frappé, méprisé, rabaissé. Je vois son sourire, et ça fait naître le mien – petit, timide, fluide. « Je ne sais pas si c'est vraiment un honneur de me rencontrer. » Après tout, je ne suis qu'un petit.

▲ Les magiciens gardent leurs secrets. Ceux qui paraissent faibles recèlent parfois des forces invisibles. Mara hoche la tête à ses mots, songeuse, avant de s'étonner de cette si petite estime de lui-même. Pourquoi n'en serais-ce pas un?