La danse des comètes

J'édite ♥

Hönir, lui, était posté sur l'observatoire. Une sorte de plateforme légèrement excentré du reste du chemin, spécialement prévu pour regarder le paysage en toute quiétude. Perdu dans ses pensées, le vent soulevant ses crins sombres et dévoilant son visage tuméfié, l'étalon se croyait seul et comptait le rester. Seulement, le vent lui porta le bruit d'une galopade.

▲ Et Chao ne ralentit pas. Il n'avait pas encore aperçu son fils. Et lorsqu'il le vit, il ne le reconnu d'abord pas. Sans doute était-il trop loin, le vent n'apportant pas son odeur au sabino.
Puis se fut le cas.
Et Chao freina des quatre fers, lancé à toute allure quelques secondes avant. Enfin arrêté, les naseaux dilatés et ronflants, l'encolure haute et en cou de cygne, il dévisagea son fils, les yeux grands ouverts.

Et enfin, il fut là. Devant lui, apparaissant comme il l'avait toujours fait lorsqu'il était enfant et qu'il avait besoin de lui. La bourrasque de vent cessa et ses crins retombèrent sur son visage, tandis qu'il se tournait vers Chao. Plus imposant, plus grand et plus massif que la dernière fois qu'il s'étaient vus, Hönir avait grandit. Il avait grandit et mûrit. Le coté gauche toujours caché sous les crins de son toupet, l'isabelle esquissa un pas vers son père, puis se ravisa. Lui qui avait toujours imaginées de chaudes retrouvailles se voyait totalement bloqué. Comment le sabino allait-il réagir à la vue de son fils, amoché comme il était ? Son corps couvert de cicatrices et son visage balafré témoignaient de sa vie passée, dont il était pourtant fier. Loin de l'ombre de sa famille, le fils de Chaodence était devenu quelqu'un. Seulement ... comment allait réagir son père ? Papa ... Souffla le grand ibérique, sous l'émotion.

▲ Chao, de son côté, n'avait pas grandit. ¬¬ Il n'avait pas rapporté beaucoup de nouvelles cicatrices. Il avait toujours cette face blanche qui le caractérisait si bien, et cette allure svelte des chevaux de l'orient. Quoiqu'il était toujours plus grand que la moyenne de ces chevaux, grâce aux gênes de son père appaloosa, le terrible Ramsès.
Le sabino peina à reconnaître son fils sous ce visage qui autrefois avait sans doute été tuméfié, blessé et douloureux. Il souffla bruyamment des naseaux. Et lorsque l'inconnu familier parla, l'étalon plaqua ses oreilles contre sa nuque, comme pour ne pas entendre. Et la vérité lui sauta en plein visage: ce grand ibérique doré là, c'était Hönir. C'était son fils. Il n'avait jamais vraiment témoigné d'affection tendre, romantique et sucrée à souhait envers lui. Aussi se sentit-il désarçonné quant à la réaction à adopter. Oh et puis zut, il n'aurait qu'à aller chercher de l'affection et des larmes chez Harmonie. ¬¬
Chao se redressa, fier fils de Ramsès qu'il avait toujours été. Fils. ¬¬ Tu es de retour. Annonce-t-il, solennel, commandant en chef familial.

La réaction de Chao' n'étonna même pas son rejeton, qui ne broncha pas. Cette manière de se tenir, d'être et cette tendance à l'handicap social, tout cela, il l'avait hérité du sabino. Pas de tendresse entre eux, pas de larmes, ni de romantisme à deux balle. Juste un affection profonde, mais qu'aucun d'eux ne serait capable de montrer. Souriant quant aux paroles de son paternel, Hönir hocha la tête, acquiesçant. C'était le bon moment ... Fit-il simplement, tout aussi solennel que son père. Que s'était-il imaginé en rêvant de leurs retrouvailles chaleureuses ? Cette pensée le fit frémir. Pas d'accolade, ni de sentiments. C'était ainsi avec Chao' et il en serait toujours ainsi. Toi aussi, tu es revenu. Tous deux avaient vieillit. Et tous deux avaient changés. En bien ou en mal, l'isabelle n'en avait cure. Il venait de retrouver son père et c'était l'essentiel. Ne restait plus qu'à débusquer sa mère.

▲ Chao ne se laissait vraiment aller que lorsqu'il était avec Harmonie. L'amour de sa vie. Le choix de ses envies. Il n'y avait alors plus "d'handicap social" qui tenait. Du reste, ce n'était plus finalement qu'une méfiance à l'égard du monde et plus particulièrement de ceux qui le faisaient, ce monde. Les mots de son fils piquèrent sa curiosité. Le bon moment? ¬¬ Le sabino secoua sa crinière, mal positionnée à cause des courants d'airs. Elle le dérangeait, lui mettait les crins dans les yeux. Effectivement. Si j'avais pu éviter... Galop Sauvage nous ramène toujours à lui. Il était revenu pour Harmonie. Pour sa belle autrefois disparue, perdue dans la folie d'une tempête.

Oui. Ma situation ... physique ne me permettait plus de remplir le rôle que je m'était donné durant ces trois ans loin de tout. Fit l'isabelle, éludant quelque peu la question. Qu'aurait donc pu dire son père s'il avait vu son visage ? Et d'ailleurs, se doutait-il de tout ce que pouvait avoir vécu son fils ? Serait-il fier si ce dernier décidait de lui confier ses aventures ? Autant de questions qui ne cessaient de tarauder Hönir, qui, comme son père, ne savait pas vraiment comment réagir face à lui. Son expérience en tant que Gardien, d'Ombre du Roi, avait fait de lui quelqu'un de bien. Une personne humble, sociable, calme et réfléchie. Mais rien ne lui avait appris à écouter ses émotions. Ou, tout du moins, rien ne lui avait appris à écouter autre chose que son besoin de protéger. On ne reste jamais bien longtemps des terres qui nous on vu grandir tu sais ... Puis, un bref silence - gêné - s’immisça entre eux. Jusqu'à ce que l'ibérique reprenne la parole. Et toi ? Que t'es-t-il arrivé durant ces trois ans ?

▲ Aux paroles de son fils, Chao étudia un peu plus ledit physique. Ses sourcils se froncèrent un peu. Il en oublia même de demander de quel rôle il s'agissait. Chao ignorait lui-même une partie de son propre fonctionnement, il était resté fidèle à lui-même toutes ces années. Tu as raison. Surtout de celles-là. Dit-il, désignant le paysage du bout des naseaux. Le sabino, qui n'aimait pas tant que ça parler de lui ou de ce qui se rapportait à lui, jugea tout de même bon d'annoncer la nouvelle à Hönir ; il était concerné. Eh bien, j'ai voyagé, avec ta mère. Puis on a été séparés par une tempête. On s'est retrouvés ici. Et on t'a fait une petite sœur.

Mis à part un léger froncement de sourcils, Chao' n'eut aucune réaction face au physique de son isabelle de fils. Ce dernier était pourtant couvert de cicatrices, certaines plus impressionnantes que d'autres, laissant facilement penser tout ce qu'il avait pu endurer. Mais la pire de toute se trouvait cachée par son toupet. Le bicolore ne devait certainement pas l'avoir vue, pour ne pas réagir. Il était sa chair après tout. Alors, prenant une longue inspiration, l'entier donna un petit coup de tête sur le côté, calant ses longs crins ébènes derrière son oreille gauche. Il se dévoilait complètement. Et l'horreur qu'il avait vécue suite à sa blessure et la perte de son œil gauche était visible sur son visage, balafré. Il n'y a pas que ça. Je vous cherchait aussi. Avoua-t-il finalement, un air légèrement contrit sur la face. C'était sa manière à lui de faire comprendre à son père qu'il lui avait manqué. Et d'ailleurs, il n'allait pas être déçu. Ses parents ne s'étaient - presque - jamais quittés. Pourtant, son enfance toute entière avait été régie par la garde alternée que les deux adultes lui avaient imposée à cause d'un dérapage de Chaodence. Mais ce qui étonna le plus l'ibérique, ce fut la fin. Une ... petite sœur ? Lâcha-t-il en écarquillant les yeux. Hönir n'en revenait pas. Il avait une petite sœur, de six ans sa cadette. Merde. Comment allait-il bien pouvoir se débrouiller avec elle, lui si pas doué pour montrer ses sentiments d'attachement ? Comment s'appelle-t-elle ? S'enquit-il, plus curieux qu'autre chose. Ne savait-on jamais qu'il ne la croise au détour d'une de ses aventures, une fois qu'elle aurait faussée compagnie à Harmonie. Comme lui quelques années plus tôt.

▲ Chao n'était pas sensible aux physiques abîmés. Ramsès son père et Apophis son oncle n'avaient que ça sur eux, sans parler de sa mère, Caelis, elle aussi marquée aux coups de ses aventures et des tyrans tachetés. C'était normal, fallait comprendre.
Cependant, la dernière, l’œil brisé, il n'en avait pas vu beaucoup. Et le voir sur son fils le répugna d'un coup. Choqué, il écarquilla les yeux puis grimaça, le corps secoué d'un frisson. Qui t'as fait ça? D'un coup, ses oreilles se plaquent dans sa crinière, son regard se fait noir et ses poils vont jusqu'à se hérisser. Il gronde, lèvres écumantes, pris d'une colère assassine.
Il tenta de se reprendre, se secoua. Ses oreilles se détachèrent un peu de sa nuque. Mais son regard n'en perdit pas moins son éclat sombre.
Penser à sa fille le calmait, l'apaisait. Aëlwenn. Elle s'appelle Aëlwenn.

Au vu de la réaction de Chao', l'isabelle se sentit soudainement soulagé. Pourquoi ? Car son père venait de lui prouver que quelque part, au fond de cette carapace de fer et derrière ce handicap sentimental dont il faisait preuve, il tenait à lui. C'était débile, mais Hönir, en un sens, avait toujours douté. Le bicolore avait toujours été si "dur" avec lui, si ... sentimentalement distant que le poulain qu'il avait été s'était un jour demandé si son père l'aimait réellement. Laissant un petit sourire en coin apparaître sur ses lèvres, l'isabelle replaça son toupet. Calmes-toi, il est mort. Cet imbécile à tenté de tuer le chef du troupeau m'ayant accueillit durant trois ans. Manque de bol pour lui, j'étais devenu le meilleur combattant du clan et le chef des Gardiens. Le Combattant Suprême. L'Invincible. L'Ombre du Roi. Et aujourd'hui, simplement Hönir. Et c'était pas plus mal.
Puis, le bicolore lui révéla le prénom de sa jeune sœur. Aelwënn. Un nom tellement doux. L'accrochant bien fermement dans un coin de sa mémoire, l'entier laissa un nouveau sourire lui échapper. C'est joli ça, Aelwënn ... Commenta-t-il, un peu rêveur. Visiblement, tout allait pour le mieux dans la vie de ses parents. En espérant que l'histoire autour de sa naissance et de celle de sa demi-sœur ne recommence pas. Et maman, comment va-t-elle ?

▲ Chao avait le sens de la famille. Il protégerait toujours les quelques personnes, si rares, auxquelles il tenait. Peut-être pour réparer les tors de son père. Chao cessa de gronder et se calma instantanément aux paroles de son fils. Il redressa son encolure et sourit en coin. Les mots n'étaient pas nécessaires, il ne cachait pas sa fierté. Ni sa surprise, au fond de ses prunelles sombres.
Prunelles qui s'adoucirent d'autant plus lorsque l'isabelle prononça le nom de sa si jolie fille. Si seulement tout pouvait bien aller. Mais il craignait que ce ne soit pas le cas. Harmonie n'était plus la même depuis la naissance de la petite. Il grimaça. Elle est bizarre ces temps. Depuis que la petite est née. Il secoua la tête. Harmonie avait toujours été bizarre, pour bien du monde. Lui, il l'aimait simplement. Mais elle s'en prenait à leur fille et il était tiraillé entre l'amour de sa vie et le fruit de cet amour.

Au regard que lui lança son père ainsi que le sourire qu'il affichait, Hönir compris combien son père était fier de lui. Souriant à son tour, l'isabelle ne renchérit rien sur sa condition physique, puisqu'il l'avait déjà acceptée. Et s'il cachait son visage, ce n'était pas par honte. Au contraire, l'entier portait chacune de ses cicatrice avec honneur et fierté car elles étaient la preuve qu'il était devenu quelqu'un de respectable, droit et loyal. Qu'il n'avait avec son grand père qu'un lien de sang. Seulement, beaucoup de monde sur galop sauvage ne connaissait rien de lui. Et il ne voulait ni choquer, ni être jugé sur son physique désormais peu flatteur. Mais heureusement, il avait la chance d'avoir des gênes de chevelu.
Mais bien vite, l'isabelle fut contraint d'abandonner son sourire. Quelque chose dans ce que venait de lui révéler son père le fit tiquer. Sa mère avait en effet toujours été étrange. À limite de la bipolarité en fait. Et poulain, il avait souvent eu à composer avec les humeurs d'Harmonie. Penchant la tête le côté - chose qu'il avait toujours fais lorsqu'il ne comprenait pas quelque chose - Hönir fronça les sourcils - pourtant inexistants - se doutant que ce devait être plus qu'une simple bizarrerie. Bizarre comment ? Questionna-t-il, inquiet. Lui n'avait jamais eu à souffrir du comportement de sa mère, vu qu'il avait été baladé de droite à gauche à cause de l'incartade de Chao avec Pa. Elle ne fait pas de mal à la petite au moins ? Que sa mère déraille, c'était un fait. Mais qu'elle s'en prenne à sa sœur, qui n'avait rien demandé en état une autre.