we were born for this

C'est à peine à quelques mètres de l'entrée qu'elle est tombée. Le sol s'est ouvert pour accueillir sa lourde carcasse, dégageant un nuage de poussière bouchant toute vue à l'extérieur. Même le soleil a brièvement disparu, plongeant la lionne dans une nuit d'apocalypse. Avant même de lui accorder le bénéfice du doute, une douleur poignante part de son ventre pour électriser son corps tout entier. Ses muscles se tendent, sa respiration se coupe.
Encore une fois, elle va donner la vie. Mais cette fois-ci encore, tout est différent.
Dans les entrailles de la pyramide, la lionne trouve assez d'air pour émettre un râle plus qu'un hennissement. Un appel grave, vibrant, une angoisse étrange l'a attrapée dès l'instant où elle a compris qu'elle allait y repasser. Elle a caché son ventre arrondi dans les couloirs de cette nouvelle demeure, pour mieux la connaître, mieux se l'approprier. En faire un refuge et non une prison. Et aujourd'hui, il est l'heure. L'heure de tout concrétiser, de se lier réellement à l'Erg, à cette famille qu'elle a décidé de rejoindre. Et d'intégrer. Elle espère qu'Asmund entende son appel, peut-être d'autres viendront ? Phoenix ne serait pas de refus si cela se passe mal,  par exemple. Une douleur plus violente lui cloue la tête au sol et elle ne peut, sinon attendre, que commencer à haleter nerveusement.

Il est là si rapidement qu'elle se demande s'il ne la suivait pas depuis un moment. Peu importe, cette éventualité lui convient très bien aussi. L'idée qu'il veille sur elle et sur son bien-être la remplit d'un sentiment de légèreté. Mais la douleur la rappelle bien vite à la réalité. Elle grimace, se recroquevillant sur elle-même tandis qu'elle sent son lourd corps se soulever un peu pour le laisser faire écran entre le sol et elle. Elle ne lui connaissait pas ces attentions. Et cela lui plait décidément de plus en plus. Il ne panique pas, ce qui a pour effet de ne pas faire croître sa propre angoisse. Mon amour. Elle va le charrier avec ça quand une nouvelle contraction la fait fermer les yeux. Elle les rouvre, ils sont un océan de douleurs, de questions, d'incertitudes. C'est.. C'est plus douloureux. Que les autres.. fois. Quelque chose... est différent. Et si le petit était mort ? Et s'il mourrait pendant la mise-bas ? Ou si c'est elle qui n'y survivait pas ? Elle inspire à fond et dégonfle ses poumons en expirant bruyamment, posant sa tête contre son épaule. Elle n'aime pas cette situation de faiblesse, couchée au sol comme un animal prêt à être abattu. Merci d'être là. Elle cherche son regard, essayant d'y injecter toute la gratitude et tous les sentiments qu'elle peut contenir en elle.

(je réponds pour que ça avance un peu )

Lövojka sent l'odeur de sa nièce, sûrement un peu à l'écart. Elle apprécie la présence de la bersek, plus qu'elle ne le lui dira d'ailleurs. Une contraction douloureuse la tord au moment où Phoenix arrive. Elle redresse la tête en haletant, maudissant ce moment, ce rite de passage, cette obligation. Elle se le promet. C'est la dernière fois.
Et la plus douloureuse. Elle se sent comme bloquée, comme si quelque chose la retenait. Elle ne trouve pas assez de souffle pour répondre à la guérisseuse, se contentant d'un hochement de tête rapide, trop occupée à haleter, de plus en plus vite. Si vite que la tête lui tourne et qu'elle la laisse se reposer au sol, juste un instant. Avant de la relever de nouveau en poussant un cri plus aiguë. Celle-ci lui a vraiment donné l'impression de la déchirer depuis l'intérieur. Sacré enfant qu'il doit y avoir là-dedans ! Elle comprend alors qu'elle n'a plus le choix et qu'il lui faut avancer pour que cela cesse. Elle se met à pousser, grimaçante, déjà en nage.

Le hennissement qui glisse le long des murs arrive jusqu'à elle et malgré son travail commencé, la lionne lui répond. Elle est si soulagée qu'il soit venu, qu'il soit là, à ses côtés, comme un soldat de plus pour se battre. Elle a hâte qu'il arrive près d'elle, de sentir son parfum rassurant. Elle aura toujours cette relation particulière avec X. Une autre odeur se faufile jusqu'à ses naseaux dilatés au maximum, au travers de celle de la poussière, de la sueur et du sang. Du sang ? Elle se tord l'encolure pour remarquer qu'elle saigne. Ne devrait-elle pas le faire une fois le petit sorti ? Incapable de réfléchir plus que cela, elle laisse sa tête retomber lourdement sur le sol de la pyramide. Sa nouvelle maison. Elle est touchée par la venue de Hooker. Elle ne s'y serait pas attendue. Ils sont là, ils sont tous là. Manquerait Boréale et June pour qu'elle soit réellement comblée, entourée, infiniment reconnaissante d'avoir ses enfants près d'elle. Ses enfants et son avenir. Elle reporte son attention sur Asmund, toujours haletante. J'espère que tu as réfléchi à un nom. Elle essaie de plaisanter malgré sa douleur immense, pour se détendre, pour se persuader que tout ira bien. Car tout ira bien, n'est-ce pas ?
Après tout ce qu'elle a enduré, la lionne est persuadée qu'il lui en faudra plus pour la mettre à terre. Elle s'est relevée tant de fois. Et cette fois aussi, elle se relèvera. Pas vrai ? Entourée d'une tête de plus.

La douleur lui arrache brusquement un nouveau cri. Ça y est. Elle le sent. Elle sent la tête creuser chemin, espérant atteindre l'oxygène et par instinct, Lövojka se met alors à pousser pour l'aider dans cette épreuve. S'en extirpe une petite forme brunâtre, humide. Soulagée que cela soit fini, elle se tord en deux pour venir la lécher, pour découvrir son visage, la rencontrer. Parce que c'est une petite fille. Mais alors qu'elle commence ses coups de langue, elle sent son ventre se contracter. Que se passe-t-il ? Une nouvelle contraction la force à poser les armes, sa tête de nouveau attirée par le sol dur et froid. Sa fille. Il faut qu'elle réchauffe sa fille... Mais ce n'est pas fini.
Il y en a encore un.
Paniquée, la lionne pousse un cri entre désespoir et peur. Il lui semble de plus avoir de forces. Pourtant, il lui faut continuer, forcer encore, une dernière fois.

Lov aussi pense à la dernière fois où Phoenix a assisté à une de ses mise-bas. La toute première. Quand elle avait voulu tuer Salem. Quand elle l'en avait empêché. Elle ferme les yeux, rassurée de savoir la guérisseuse près d'elle. Il ne peut rien lui arriver, n'est-ce pas ?
Elle aimerait s'occuper de sa fille mais elle n'y arrive pas. Est-ce que cela fait d'elle une mauvaise mère ? Ce qu'elle a toujours été. Jamais elle ne s'est considérée comme un bon parent. Et là encore, elle a l'impression de faillir à son devoir. Elle souffle fort, sa respiration devient rauque, elle tousse un peu aussi. Elle cligne seulement des yeux pour répondre à Phoenix. Elle n'a pas la force d'utiliser la parole. Elle donnera tout pour lui - ou elle. Deux filles ? Elle sourit en pensant à ça. Ils ont choisi des prénoms, un pour si c'est un mâle, un si c'est une femelle. Mais s'il y en a deux, ils sont mal ! Elle rouvre les yeux pour capter le regard d'Asmund. Il s'est passé tant de choses depuis leur première rencontre. Elle pense à leurs déchirements. Elle ignore si elle l'aimait réellement à cette période-là, peut-être était-ce juste la trahison qui l'avait le plus déchirée. Mais aujourd'hui, elle est sûre d'une chose. Il est celui dont elle a besoin dans sa vie. Et cette vie, cette nouvelle vie, elle veut la passer à ses côtés. Pour tout le reste. Les contractions se font plus rapprochées, plus soutenues. Elle grimace de nouveau, laisse de côté son sourire - comme une trêve qu'on décide d'écourter pour mieux repartir à la guerre. Pour mieux terrasser son ennemi. Mais il ne peut rien lui arriver, n'est-ce pas ?
Ils sont tous là. Elle voudrait voir Boréale aussi, qu'elle rencontre la première sa nouvelle fratrie. La douleur terrasse ses pensées, envoyant des bribes d'émotions pour mieux les lui retirer, à peine entamées. Elle se reprend et décide de pousser de toutes ses forces. Pour se concentrer, elle fixe Xander. Il est devenu un bel étalon, maintenant. Il n'a plus besoin d'elle mais elle a toujours cruellement besoin de lui. Les rôles s'inversent au cours d'une vie. Mais il ne peut rien lui arriver, n'est-ce pas ?
Elle pousse, recouvrant une énergie camouflée par l'adrénaline que lui injecte la douleur, plus vive que jamais. Elle sent quelque chose commencer à sortir, puis plus rien. Elle souffle, tousse encore, grogne presque tant l'effort que cela lui coûte est désastreux. Elle a l'impression d'être déchirée de l'intérieur. Ses yeux s'écarquillent, la peur revient au galop. Les démons, ces fameux démons, sont muets pourtant. Seule la peur vient l'enrober comme un drap sale gardé au grenier. Lövojka n'a jamais eu peur de la mort. Jamais, pas même enfant. Pourtant à cet instant-là, elle craint la faucheuse comme le pire de ses cauchemars. Et si elle n'y survivait pas ? Elle se concentre, essayant de lutter contre les doutes qui l'assaillent comme des vagues immenses. Elle a l'impression de boire la tasse, l'air est salé. Salé de sa sueur dont elle est recouverte. Fiévreuse, elle fixe le vide quelque part entre le sol et le plafond. Elle sent des pressions sur son ventre, ignore si c'est Phoenix ou si cela vient de l'intérieur. Et enfin, elle l'expulse, comme un boulet de canon. Elle n'arrive pas à savoir s'il s'agit finalement d'un mâle ou d'une femelle. Elle ne peut pas se redresser, n'en a pas la force pour le moment. Haletante, elle peine à respirer et tousse de nouveau. Asmund le léchera pour elle, elle n'en doute pas. Elle ne doutera jamais plus de lui. Elle tente de reprendre des forces. Entre ses jambes, le sang continue de couler.
Mais rien ne peut lui arriver. N'est-ce pas ?


ASZIO
Dans le monde, il y a deux départs. Un bon et un mauvais. Il ne saurait dire celui auquel il est confronté sinon qu'il est brutal. Le sol lui semble dur, il a l'impression d'avoir été noyé des semaines durant. Au fond d'un océan sombre. Sûrement pour ça que la lumière lui brûle tant les paupières quand il essaie de découvrir ses iris, ne voyant qu'une multitude de silhouettes floues autour de lui.

(de nouveau je réponds moi pour faire avancer les choses )

La douleur bourdonne à ses oreilles. Pourtant, elle entend des échos de voix. Des voix qu'elle connait, que son cerveau peine pourtant à recadrer, ankylosé par la douleur. Elle sent des tensions, comme s'il y avait une dispute. Elle tente de se redresser, son ventre semble se déchirer depuis l'intérieur. Cela lui arrache un cri de douleur qui ricoche sur les couloirs de la pyramide, elle a juste le temps d'apercevoir les deux têtes brunes et encore mouillées de ses enfants. Elle sent l'odeur d'un mâle, vaguement. Deux jumeaux, que pouvait-elle rêver de mieux ?
Peut-être de souffrir moins ?
Un visage nouveau se présente à elle. Le visage d'un ange. Allie... Tu.. Elle est interrompu par une quinte de toux violente et se penche sur le côté. Elle sent le goût métallique du sang dans sa gorge mais n'en dit rien. Elle ne veut pas les affoler plus qu'il ne le faut. Surtout que Boréale semble déjà suffisamment inquiète comme ça. Elle essaie de l'atteindre mais c'est à peine si elle arrive encore à tourner la tête. Mais sa fille vient à elle, se couchant près d'elle. Là, dans son sang. Elle aimerait lui dire qu'il ne faut pas qu'elle s'en mette partout mais elle est bien trop soulagée de la voir. Merci d'être venue. Elle l'enlace tendrement, malgré que la douleur continue de l'assaillir, comme si elle allait encore en sortir un. Elle capte le regard de X, le remerciant silencieusement, s'imaginant que c'est lui qui l'a ramenée. Elle lève les yeux vers Phoenix. Il peut pas y en avoir encore un ... n'est-ce pas ? Elle peine à articuler mais le fait du mieux qu'elle le peut. La douleur commence à faire briller ses yeux mais elle reste digne. Et endurante. Elle repose la tête au sol, observant tout ce petit peuple venu la soutenir, veiller sur elle. Ils veillent donc bien tous sur elle, finalement. Elle sent un drôle d'apaisement s'écouler dans ses veines et injecter un calme presque inquiétant dans sa tête. Elle sourit même, un peu au vide. Pourtant, la flaque rougeâtre continue de grossir, lentement, mais avec une assurance désinvolte qui se fiche de la beauté du moment.