spleen /

Ses gestes maintiennent le sourire sur le visage sombre de la noire. « Tu m'en vois ravie. » admet-elle en haussant les sourcils.

Elle reste un moment immobile, encore. Puis soudain, elle est à ses côtés. Aussi inaudible qu'un spectre. Elle se déplace sans bruit, se calquant sur les foulées du mâle. Ses prunelles embrassent le vide, droit devant elle. « Ah bon ? »

Mais Brooklyn aime l'orage. Et les éclairs, et le tonnerre. Surtout, les tempêtes. Surtout, celles qui règnent toujours là, au fond de sa tête. Elle a un regard mi-intrigué mi-fou lorsqu'elle rive les deux gouffres qui lui servent d'yeux sur lui. On aurait l'impression que ses prunelles absorbent la robe de jais de l'étalon. « Dans quel camp seras-tu ? » demande-t-elle à tout va, comme ça.

Elle lui offre un sourire carnassier. « D'accord. » répond-elle seulement, comme pour lui dire qu'elle s'en fichait, qu'au fond ça lui importait peu. Ce n'est pas le cas. Mais ça, elle ne l'avouera pas. S'il y a bien une chose parmi le peu d'émotions que Brooklyn consomme, c'est la fierté.

Je lui rendais un léger sourire, me détournant d'elle de nouveau. Vers cet orage qui se rapprochait, doucement mais surement. « Comment t'appelle-t-on ? » J'aimais mettre des noms sur les choses qui m'entouraient. Elle commençait à devenir intéressante alors je voulais savoir.

Elle tourne un regard étincelant d'ombres vers lui. « Généralement, « on » ne prend pas la peine de m'appeler, ça ne sert à rien, puisqu'on ne me voit pas longtemps. » Nouveau sourire, blancheur contrastant avec la noirceur de sa robe.

Elle cligne des yeux, avec la lenteur que le ferait un reptile. Finalement, elle se rapproche d'un pas. « Brooklyn. » souffle-t-elle seulement.

Elle brise la proximité en s'éloignant légèrement, d'un bon vif. Elle se met à marcher, l'invitant d'un signe de tête à la suivre. Sa démarche toujours si gracile et silencieuse, la jument note son nom au fond de sa tête. Elle a le sentiment qu'elle n'est pas prête de l'oublier.

Elle laisse durer le silence, cette fois. Son regard noir est braqué sur l'horizon, droit devant elle, comme lourd de reproches. Elle pense à Budapest, elle pense à tous ceux qu'elle va tuer bientôt. La hâte et la contrainte se battent en elle, pour la première fois de sa vie. Mais elle écarte vivement ces sentiments qui l'affaiblissent, pour ne garder que ce qu'elle a de meilleur en elle. Sa colère. Une colère noire, froide et dévastatrice. La colère qui fait d'elle une bête sauvage et sans pitié. La colère contre le monde entier d'avoir fait d'elle ce monstre.